mercredi 25 novembre 2009

sawndterview N° 11... Pierre Gerard - co-fondateur de Jamendo

pierreneoJamendo est un animal d'une espèce particulière... issue de cette vague du "Open" au sens large ; leur objectif n'est ni plus ni moins que de casser le modèle traditionnel du licencing tel qu'il existe aujourd'hui dans le monde de la musique. C'est sans doute d'ailleurs leur proximité avec ce monde de l'Open qui leur vaut une très belle page sur Wikipedia... 


Pierre Gerard est l'un des co-fondateurs de cette société dont la fondation remonte à 2005 et qui est basée au Luxembourg. Parmi ses faits d'armes, on notera qu'elle a su s'attacher comme investisseur le prestigieux fond Mangrove Capital, qui avait auparavant financé des sociétés comme Skype... On leur souhaite le même parcours. 


Pierre, question directe : est ce que vous êtes concurrents de la Sacem?
Nous ne pouvons pas nous définir comme un concurrent de la SACEM au sens large car nous ne pouvons pas pour l'instant proposer à un auteur de collecter l'ensemble de ses droits d'auteurs. Par contre, nous proposons aux artistes et auteurs qui décident de mettre leur musique sur Jamendo des canaux de distributions commerciaux pour leurs créations, ils peuvent ainsi être rémunéré. Nos offres de radio Jamendo Pro pour lieux publics (magasins ou restaurant par exemple)  permettent de ne plus payer la Sacem car nos artistes n'en sont pas membres. Dans ce cas, nous devenons concurrents.
Mais j'aime bien dire que nous sommes aujourd'hui complémentaires en nous adressant à une population d'artistes qui n'avaient pas accès à une diffusion commerciale et qui ne sont pas affiliés à une société de collecte.

Pourquoi les artistes devraient signer avec Jamendo plutôt qu'avec quiconque d'autre?
Parce qu'en signant avec Jamendo ils sont libres de signer ailleurs, de notre point de vue en tout cas. D'autres sociétés vont demander l'exclusivité mais ce n'est pas le concept de Jamendo. Par contre, pour être diffusé sur Jamendo, il faut pouvoir diffuser sa musique sous licence Creative Commons. Ce choix n'est pas possible si on est par exemple affilié à la Sacem, mais d'autres sociétés de collecte dans d'autres pays l'acceptent . Dans ce cas l'auteur peut choisir plus facilement qui il choisit pour gérer ses droits suivant l'usage qui est fait de sa musique.

Est ce que vous cherchez des fonds?
Nous avons déjà levé 3Mio d'Euros et nous sommes en train de chercher une somme  équivalente. Notre projet est ambitieux et un des plus innovants dans le domaine de la musique car il permet à une nouvelle population d'auteurs d'avoir accès à la diffusion de masse et à une rémunération. Le pari est ambitieux et il lui faut donc des moyens.

Dans quel état te semble le monde de la musique en ce moment?
Il vit une profonde mutation comme des dizaines de modèles économiques en ont déjà vécue. On peut tenter de tout faire pour essayer de maintenir les équilibres existants ou oeuvrer pour faire évoluer tout le système en innovant et en se disant que l'évolution technologique qui entraine ces changements est une formidable opportunité de développement et de création de nouvelles chaines de valeur.
Mais arrêtons de dire que l'industrie de la musique est en crise, l'industrie du disque traverse une période critique mais toutes les études montrent que globalement les sommes d'argent consacrées à la musique ne font qu'augmenter.

Pour les maisons de disque, tu penses que le business va s'améliorer ou se dégrader?
Les maisons de disques ont bénéficié de manière extraordinaire des évolutions techniques et sociales depuis près de 30 ans. L'éclosion des MTV et du CD leur ont permis d'accéder à un marché de masse comme jamais auparavant. Notons au passage, que durant les années 80 on nous a vendu deux fois la même musique en passant du vinyle au CD.
Aujourd'hui les acteurs en place tentent de faire légiférer pour maintenir leurs positions. Mais souvenons-nous: il y avait 3 chaines de télévision en France en 1980, les seules radios commerciales étaient alors des radios périphériques comme on les appelait alors. Aujourd'hui nous avons des dizaines de chaines de TV, certaines payantes, d'autres gratuites, la video à la demande, la bande FM est remplie. Il y a eu des adaptations, de nouveaux acteurs sont arrivés, des échecs, des réussites, les acteurs en place se sont plus ou moins bien adaptés mais globalement cette économie s'est très largement développée.
Les causes de  la dégradation actuelle sont nombreuses mais citons par exemple: d'une part que  la dématérialisation de la musique en passant du CD physique au fichier numérique recopiable à l'infini à coût presque nul n'a entrainé pour l'utilisateur aucune économie ou alors très faible. D'autre part tous les nouveaux outils pour faire de la musique, la promouvoir et la distribuer font que son marché se concentre de moins en moins au mainstream et qu'il va à nouveau se morceler. La rareté n'est plus du côté de la musique, qui est partout, mais du côté de l'audience, de l'attention qu'il faut capter et monétiser.


Quel est leur plus gros défi à relever en ce moment?
Accepter qu'elles doivent changer leurs règles, comprendre que le système actuel de peut pas perdurer. Ne plus vouloir nous fabriquer des « Nouvelles Stars » et prendre le public plus pour un passionné que pour un consommateur.


Quel est la révolution la plus forte qui va arriver dans l'industrie de la musique d'ici à 4 ou 5 ans?
La dématérialisation va encore évoluer avec le tout streaming, toute la musique sera accessible à tout moment. On va encore moins compter en nombre de copies qui a de moins en moins de sens. La valeur sera dans nos playlists (accéder à la musique que j'aime) et dans la recommandation (découvrir de la musique que je vais aimer). Il faudra néanmoins trouver un système juste de répartition des revenus suivant l'usage et surtout envisager ce streaming comme un relai marketing qui permettra de déboucher sur d'autres sources de revenus pour les artistes, certaines existent déjà et il faut les amplifier, d'autres restent à créer.

Tu ferais quoi si tu étais un artiste?
Tout d'abord je me dirais que je vis une époque formidable: je peux diffuser ma musique dans le monde entier, je peux choisir comment je vais gérer mes droits, en quelque sorte garder ma liberté. Pratiquement, je ferais tout pour garder la maitrise de mes créations, je profiterais de toutes les médias pour « rencontrer » mon public, collaborer avec d'autres musiciens même à l'autre bout du monde comme le font déjà certains.
Je ne dis pas que tout est facile, mais que les opportunités sont extraordinaires et largement plus nombreuses qu'il y a 10 ou 20 ans.

Quels sont les projets, les start-up qui t'intéressent le plus en ce moment ?
Dans la musique, je suis très intéressé par Spotify même si son principal problème reste qu'ils sont aujourd'hui tributaires des majors pour accéder au contenu qu'ils vont diffuser. Je suis aussi curieux de voir ce que va proposer le site de musique Rdio, le nouveau projet des fondateurs de Skype  Zennstrom et Friis.
Bien entendu Twitter que l'ont peut qualifier de start-up, tant que son modèle économique reste à prouver, représente aussi la grande inconnue mais rejoint un sujet qui m'intéresse au plus au point: la convergence de l'info en temps réel, de la géolocalisation, de sa base de connaissance personnelle et de son réseau social. Les applications là aussi sont potentiellement incroyables.

Tes sites préférés?
Facebook est devenu notre référence à tous, principalement pour moi par l'aspect recommandation avec les liens partagés par son réseau, les invitation à des événements, la richesse des applications et bien sûr les nouvelles de ses amis.
Je dirais qu'avec Google Reader je peux garder dans mon « radar » des dizaines de sites dont les sujets sont dans mes centres d'intérêts et là aussi je peux retrouver les articles partagés par mes amis.  Mais la valeur des sites ou blogs se mesure à leur originalité dans le traitement de l'information et à la qualité des analyses, on peut citer par exemple rue89 et dans les plus spécialisés electronlibre, readwriteweb ou mashable mais je n'ai pas la prétention d'en faire une liste exhaustive.

Quels sont les musiciens qui te semblent les plus innovants en ce moment?
Trent Reznor avec Nine Inch Nails représente la voix la plus innovante dans la distribution de leur musique, ils sont parmi ceux qui ont à mon sens le mieux compris l'évolution du rapport avec les fans. Les initiatives de Radiohead mais aussi de The Smashing Pumpkins qui va proposer 44 titres gratuitement sont aussi à suivre.  Etant un grand admirateur de Peter Gabriel, je trouve sa démarche aussi très intéressante, il fait de la musique depuis 40 ans, investit dans des start-up [avec Eden-Ventures NDRL], produit de nouveaux artistes du monde entier, est toujours à la pointe de la technique et de l'interactivité, preuve que la vieille génération peut aussi s'adapter !

Tu peux nous dire où en est Jamendo, en quelques mots?
Après plusieurs années durant lesquels nous avons construit notre catalogue, bâti notre communauté,  toute l'infrastructure technique et légale, nous sommes maintenant en 2009 en phase de commercialisation de notre musique. Les revenus sont en hausse continue, nous redistribuons plusieurs dizaines de milliers d'Euros tous les mois à nos artistes. Il nous faut maintenant des fonds pour nous permettre de développer ce modèle et atteindre notre équilibre pour pouvoir proposer de nouveaux services avec encore plus de musique. 


Merci Pierre, super modèle... Bonne chance pour la suite. 

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