Mine de rien, le paysage de l'internet musical évolue à vitesse redoublée ces derniers temps et cela mérite d'être souligné. Il convient toutefois d'avoir parfois une lecture en creux des évènements les plus significatifs ; il en est ainsi de l'opération Deezer qui a vu France Telecom prendre jusqu'à 11% du capital de la start-up. Pour les néophytes, cet évènement donne l'image d'une entreprise conquérante, parvenue à s'associer avec l'un des plus gros opérateurs mondiaux. Il cependant est à craindre que ce point de vue soit clairement idyllique et que cet accord ne sonne le glas d'une aventure somme toute remarquable jusqu'à ce point. A plusieurs égards, on peut en effet douter de l'intérêt de cette opération pour Deezer. En premier lieu, il convient de souligner que France Telecom a été remarquablement et durablement incapable de développer une offre de contenu avec succès. Son Directeur General vient d'ailleurs de mettre fin à une incursion de dix ans dans les contenus, qui a vu l'opérateur dépenser -officiellement- plus de 200 millions d'euros par an dans ceux-ci, et plus même les bonnes années. Les mauvaises langues soulignerons donc combien, avec 800,000 abonnés au bouquet Orange, cela représente tout de même près de 600 euros -uniquement en contenus- par abonné. Sachant qu'un abonné TV se désabonne en général tout les deux ans et demi et que l'abonnement moyen, promotion incluse est à environ 20 euros, chaque abonné génère donc structurellement un déficit de l'ordre de 40 euros, sans même parler des frais techniques et de gestion.
Mais c'est sur le terrain de la musique que les échecs sont plus remarquables encore. Dès 2004, l'opérateur coloré a commencé à investir fortement dans une solution fournie par Musiwave pour concurrencer SFR sur le plan de la musique sur mobile. Après des changements incessants de stratégie et de specifications technologique, la solution sera finalement commercialisée en 2007 pour, deux ans plus tard, ne générer qu'une poignée d'abonnés, tant la mise en oeuvre du plan marketing aura été tumultueuse. Orange, s'est depuis fait plus discret sur la thématique musicale, se contentant de discuter avec l'ensemble des acteurs du marché pour tacher d'identifier la solution qui lui permettrait d'éviter toute nouvelle fausse note.
Le fait que Deezer et Orange aient tous les deux une domination affirmée sur le marché français pose une apparente logique à leur rapprochement. Coté Deezer, on peut supposer que les difficultés pour trouver de nouveaux financements, dans un contexte d'échec de l'offre d'abonnement qui n'aurait récolté que 23,000 abonnés tandis que Spotify en revendique plus d'un demi million, n'ont pas été étranger à cette alliance.
Coté France Telecom, on notera avec ironie qu'après que son patron eu annoncé mettre fin à l'aventureuse incursion dans le monde des contenus lors de son assemblée générale de juin, l'opérateur a eu deux fois l'occasion de se dédire, d'une part en tentant de rentrer dans le capital du journal Le Monde et d'autre part donc, en prenant une participation dans Deezer. Gageons qu'il ne s'agit que d'ultimes soubresauts avant que le concept de réalité ne finisse par s'imposer. Il est en effet à craindre que le bon mot, certes un peu cruel, d'un ancien responsable marketing à l'endroit de France Telecom ne tarde à s'avérer exact "tuyau tu es, tuyau tu resteras".
Mais c'est finalement pour Deezer que la pilule pourrait s'avérer fatale. Quiconque a évolué dans le monde des affaires et plus encore dans celui des start-up sait que tisser des liens trop forts avec un acteur industriel revient à limiter voir supprimer la création de valeur à moyen-terme tant le badwill créé peut se réveler important. Il convient d'éviter de s'appesantir sur le fait qu'il est difficile de trouver une structure culturellement aussi éloignée que Deezer et du monde de l'entrepreneuriat que France Telecom. Et tout ceci, sans même mentionner le fait que le droit de préemption, généralement accordé à tout actionnaire, ôte pour ainsi dire tout attrait à Deezer pour un acquéreur éventuel.
Il est donc à craindre que l'aventure entrepreneuriale Deezer vienne de prendre fin avec ce rapprochement, ce qui est d'autant plus dommage car elle avait été menée avec brio jusqu'à présent par ses fondateurs, qui avaient pour ainsi dire un sans-fautes. Seul l'avenir le dira, mais d'expérience, un scenario hautemement probable pourait voir l'absorbtion pure et simple de Deezer par France Telecom d'ici à deux-trois ans.
4 commentaires:
en plus il me semble que FREE soit deja un des actionaires de DEEZER. cela confirme la these de l'article.
Oui Niel est également actionnaire de Deezer où il est rentré en seed (200K d'après ce que j'ai pu lire). Marrant de les voir s'affronter sur la reprise du Monde, et collaborer ici...
Néanmoins, je ne vois pas de volte-face par rapport aux récentes déclaration de S Richard sur le désengagement des contenus : il a précisément dit vouloir cesser la production/édition de contenus, et plutôt nouer des "partenariats stratégiques". Son association avec Perdriel dans Le Monde, ou ici avec 11% du captial de Deezer, me semblent précisément bien illustrer cette stratégie. Des prises de participations minoritaires, et des synergies à mettre en oeuvre pour leur promotion à travers les tuyaux de la maison...
Bravo et merci pour cet article, qui donne effectivement un éclairage très intéressant à ce rapprochement.
Sauf erreur, il n'y est pas fait mention de Wormee (vous dites juste qu'Orange s'était fait plus discret sur le terrain musical depuis 2007), le projet maison dont les services sont plus ou moins proches de ceux de Deezer.
Que va-t-il devenir ?
Wormee sera fusionné avec Deezer et fera bénéficier la plate-forme de ses propres accords.
L'analyse de la performance d'Orange dans les contenus est un peu légère. Vous oubliez de prendre en compte le prix de revente d'Orange Cinema Series, qui pourrait avoisiner les 200 millions d'euros, sans parler de celui d'Orange sport. D'autre part, les 800 000 abonnés concernent uniquement les chaînes cinéma et sport (3 millions de clients pour la TV d'Orange sinon) et ne sont pas abonnés depuis le lancement des chaînes, loin de là. Le prix des abonnements sport et cinéma est plus faible que ce que vous dites avec un forfait de 12€ par mois pour le cinéma et 6€ pour le foot (et on ne peut pas simplement sommer les deux).
D'autre part, la performance de Deezer laisse pour le moment très fortement à désirer et rien ne dit que le site pourrait survivre très longtemps sans partenariat. Je rappelle que le fondateur s'est fait "sortir" au profit d'un nouveau manager il y a quelques mois car il était incapable de monétiser l'audience du site.
Orange est-il le bon partenaire, ça n'est pas sûr. Comme vous le rappelez, les cultures sont très différentes. De là à dire que c'est la "fin de l'aventure entrepreneuriale Deezer", c'est aller un peu vite en besogne.
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