mardi 27 juillet 2010

Deezer- France Telecom : Succès ou... Echec?

Mine de rien, le paysage de l'internet musical évolue à vitesse redoublée ces derniers temps et cela mérite d'être souligné. Il convient toutefois d'avoir parfois une lecture en creux des évènements les plus significatifs ; il en est ainsi de l'opération Deezer qui a vu France Telecom prendre jusqu'à 11% du capital de la start-up. Pour les néophytes, cet évènement donne l'image d'une entreprise conquérante, parvenue à s'associer avec l'un des plus gros opérateurs mondiaux. Il cependant est à craindre que ce point de vue soit clairement idyllique et que cet accord ne sonne le glas d'une aventure somme toute remarquable jusqu'à ce point. A plusieurs égards, on peut en effet douter de l'intérêt de cette opération pour Deezer. En premier lieu, il convient de souligner que France Telecom a été remarquablement et durablement incapable de développer une offre de contenu avec succès. Son Directeur General vient d'ailleurs de mettre fin à une incursion de dix ans dans les contenus, qui a vu l'opérateur dépenser -officiellement- plus de 200 millions d'euros par an dans ceux-ci, et plus même les bonnes années. Les mauvaises langues soulignerons donc combien, avec 800,000 abonnés au bouquet Orange, cela représente tout de même près de 600 euros -uniquement en contenus- par abonné. Sachant qu'un abonné TV se désabonne en général tout les deux ans et demi et que l'abonnement moyen, promotion incluse est à environ 20 euros, chaque abonné génère donc structurellement un déficit de l'ordre de 40 euros, sans même parler des frais techniques et de gestion. 
Mais c'est sur le terrain de la musique que les échecs sont plus remarquables encore. Dès 2004, l'opérateur coloré a commencé à investir fortement dans une solution fournie par Musiwave pour concurrencer SFR sur le plan de la musique sur mobile. Après des changements incessants de stratégie et de specifications technologique, la solution sera finalement commercialisée en 2007 pour, deux ans plus tard, ne générer qu'une poignée d'abonnés, tant la mise en oeuvre du plan marketing aura été tumultueuse. Orange, s'est depuis fait plus discret sur la thématique musicale, se contentant de discuter avec l'ensemble des acteurs du marché pour tacher d'identifier la solution qui lui permettrait d'éviter toute nouvelle fausse note. 
Le fait que Deezer et Orange aient tous les deux une domination affirmée sur le marché français  pose une apparente logique à leur rapprochement. Coté Deezer, on peut supposer que les difficultés pour trouver de nouveaux financements, dans un contexte d'échec de l'offre d'abonnement qui n'aurait récolté que 23,000 abonnés tandis que Spotify en revendique plus d'un demi million, n'ont pas été étranger à cette alliance. 
Coté France Telecom, on notera avec ironie qu'après que son patron eu annoncé mettre fin à l'aventureuse incursion dans le monde des contenus lors de son assemblée générale de juin, l'opérateur a eu deux fois l'occasion de se dédire, d'une part en tentant de rentrer dans le capital du journal Le Monde et d'autre part donc, en prenant une participation dans Deezer. Gageons qu'il ne s'agit que d'ultimes soubresauts avant que le concept de réalité ne finisse par s'imposer. Il est en effet à craindre que le bon mot, certes un peu cruel, d'un ancien responsable marketing à l'endroit de France Telecom ne tarde à s'avérer exact "tuyau tu es, tuyau tu resteras". 
Mais c'est finalement pour Deezer que la pilule pourrait s'avérer fatale. Quiconque a évolué dans le monde des affaires et plus encore dans celui des start-up sait que tisser des liens trop forts avec un acteur industriel revient à limiter voir supprimer la création de valeur à moyen-terme tant le badwill créé peut se réveler important. Il convient d'éviter de s'appesantir sur le fait qu'il est difficile de trouver une structure culturellement aussi éloignée que Deezer et du monde de l'entrepreneuriat que France Telecom. Et tout ceci, sans même mentionner le fait que le droit de préemption, généralement accordé à tout actionnaire, ôte pour ainsi dire tout attrait à Deezer pour un acquéreur éventuel.
Il est donc à craindre que l'aventure entrepreneuriale Deezer vienne de prendre fin avec ce rapprochement, ce qui est d'autant plus dommage car elle avait été menée avec brio jusqu'à présent par ses fondateurs, qui avaient pour ainsi dire un sans-fautes. Seul l'avenir le dira, mais d'expérience, un scenario hautemement probable pourait voir l'absorbtion pure et simple de Deezer par France Telecom d'ici à deux-trois ans. 

mercredi 7 juillet 2010

L'Europe : combien de Media divisions?



Les polémiques sur les mesures pour contrer l'utilisation innapropriée des contenus ne semblent pas prêtes de s'etteindre. Il semble même que le débat concernant Adopi s'est à présent étendu à toute l'Europe... ainsi qu'à son Parlement. Les arguments sont connus. D'un coté se trouvent ceux qui défendent la liberté d'expression, d'utilisation de l'internet, de l'autre l'industrie des contenus, qui argue du fait que cette industrie emploie de très nombreuses personnes, à l'échelle de l'Europe. 




Il est intéressant de se pencher un peu sur les chiffres et de chercher à savoir combien d'emplois représentent réellement l'industrie des médias, combien sont ceux qui sont à risque, etc. 
La pêche aux infos est assez laborieuse et, pour dire les choses telles qu'elles sont, les chiffres varient considérablement d'une source à l'autre. Eurostat, récipiendaire officiel des statistiques européenne semble cependant le plus fiable, évoquant dans son rapport " Cinema, TV, Content and radio in the EU — Statistics on audiovisual services — Data 2000–2005" qui n'est certes pas tout frais, le chiffre de 13,7 millions d'emplois dans le secteur. Soit près d'un emploi sur 12 dans l'Union à 25. Ce chiffre est d'ailleurs proche de celui que l'on trouve dans plusieurs études tel que le rapport TERA, qui évoque 14 millions d'emplois représentant 6,5% du PIB Européen. 
Le site de l'IFPI évoque quand à lui dans son rapport "investing in Music report (mars 2010), le chiffre de 2 millions d'emplois directs dans l'industrie de la musique à une échelle globale -ce qui semble par ailleurs assez cohérent avec les chiffres précédents. Enfin, le gouvernement de nos amis Britanniques, évoque dans wikipedia.org le chiffre de 1 million de personnes travaillant dans les industries créatives et de contenus, créant un revenu de 112,4 milliards de Livres, ce qui n'est pas rien non plus.

Ces chiffres, même grossiers ne sont pas tellement sujets à caution ; on peut d'ailleurs également envisager qu'un million de personnes en France travaillent également dans les industries créatives, ce qui ne signifie pas pour autant qu'elles créent toutes des contenus aptes à être piratés ou détournés. Ainsi, 300,000 d'entre-elles travaillent à ce titre dans le monde du marketing et de la publicité, que l'on peut donc presque exclure en totalité du monde de la création de contenus à fort copyright. 
Les chiffres de l'industrie du cinéma, de la musique et de l'industrie de la télévision ne sont guère accessibles. Ni le site du snep, ni l'insee, ne permettent d'avoir une vue d'ensemble de ces éléments. il est symptomatique que le Syndicat National de l'Edition Phonographique ne suive et ne valorise cet indicateur. 
Par plusieurs méthodes et recoupements, on peut toutefois évaluer, de façon conservatrice, le nombre d'emplois directs rattachés à l'industrie des contenu à 320/430,000 pour la France. Soit 28,000 dans le monde de la musique (et 98,000 en incluant distribution et spectacle), 110,000 pour l'industrie du cinéma (dont 51,000 dans la production des films selon le CNC), et... 260,000 dans l'industrie de la télévision. L'industrie des jeux videos, très éclatée, pourrait quant à elle regrouper un peu moins de 11,000 emplois directs en France, mais ces chiffres sont sujets à caution (sources AFJV) car l'insee évoque de son coté 27,564 emplois directs. 
Il s'agit là d'emplois à forte valeur ajoutée, les salaires moyens pouvant être estimés comme probablement supérieur à 40KE par an, soit tout de même sensiblement au dessus de la moyenne nationale de 26KE. 

Venons-en aux destructions d'emplois, sujet sensiblement plus polémique, régulièrement contesté par les protagonistes du premier bord. Au niveau Européen, le chiffre de 1,2 millions d'emplois détruits à l'horizon 2015 est largement cité. L'origine de ce chiffre remonte au rapport préliminaire Gallo, du nom d'une députée européenne (photo) qui s'est fait connaitre pour avoir pris fait et cause pour une régulation un peu plus "poussée" de l'internet sans qu'elle ne défende ACTA pour autant. Ce chiffre repose largement sur le rapport TERA, qui ajoute qu'en 2008, les industries créatives de l’union européenne les plus impactées par le piratage (films, séries tv, musique enregistrée et logiciels) ont enregistré un manque à gagner de 10 milliards d’euros et plus de 185 000 destructions d’emploi en raison du piratage et notamment du piratage numérique".
Dans son volet Français, le même rapport évoque le fait que 10,000 emplois auraient déja été détruits en France du fait des contenus non-rétribués. Ce chiffre nous semble relativement cohérent avec le principe de 2000 à 2500 emplois détruits dans l'industrie de la musique au cours des 10 années passés, généralement admis et rarement contesté (majors plus gros indépendants ont réduit leurs effectifs de moitié environ, à l'exception notable de Universal). 
Le rapport évoque ensuite le risque de voir 10,000 autres emplois disparaitre pour la France soit 20,000 emplois en tout. 
Il y a cependant là un petit travers méthodologique : comment se fait il que la France, qui représente 18% du PIB des 25 pays composant l'europe puisse ne voir disparaitre que 20,000 emplois tandis que 1,2 millions disparaitrait au niveau européen dans le même temps? Rappelons que 20,000 emplois ne représentent que 1,7% de 1,2 millions. 
L'explication se trouve dans le fait que Tera a fait plusieurs hypothèses, et que le chiffre le plus largement médiatisé concerne l'hypothèse la plus noire, celle où pour ainsi dire aucune tentative de régulation ne serait entreprise. 

Il n'en reste pas moins que l'étude TERA semble tant pour son volet français que pour le corps européen, assez documentée et donc fiable. Il est difficile de contester que de très nombreux emplois, à forte valeur ajoutée, sont en jeu. 
Ce que le rapport n'évoque pas, c'est le nombre d'opportunité de création d'emplois qui ne peuvent avoir lieu. Lorsque des offres telles que Deezer ou Spotify se lancent, il est évident qu'elles sont avant tout en concurrence avec les offres illégales, avant même la radio ou la Fnac. Ces deux acteurs de l'internet musical ont certes réussi à trouver les financements leur permettant d'exister jusqu'à ce qu'elle puisse -hypothétiquement- rejoindre un point d'équilibre, mais l'exercice revient toutefois à nager avec des altères. Que dire des projets d'entreprises  innovantes -et ils sont nombreux- dont les modèles sont par avance compromis car ils ne peuvent trouver un modèle rétributeur, ni un investisseur prêt à prendre un risque conséquent dans cet environnement incertain? 
Il conviendrait bien entendu de faire ici de la place pour évoquer les modèles économiques alternatifs ; ce que nous n'avons que peu fait jusqu'à ce jour, tant il nous a semblé que ceux-ci sont hypothétiques pour l'instant.