Et voici un bon post écrit par Pascal Giraudie, notre correspondant en Espagne...
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Pour ce premier post chez Sawnd, il m'a paru naturel de commencer par un état des lieux de la planète musique début 2009, depuis ma position d'observateur un peu particulière : DJ, producteur/compositeur (depuis peu), collectionneur, grand consommateur de disques (avant tout vinyles et ensuite CD), ancien collaborateur de Sony Music et Virgin (Paris), ancien collaborateur de Sonox (Suède ; projet pionnier de distribution de musique indépendante sur internet), et co-gérant de club à Barcelone.
Par où commencer ? Allez, par quelque chose de positif : il n'y a pas de crise de la créativité ! Partout dans le monde apparaissent de nouveaux talents aux créations étonnantes et rafraîchissantes, souvent excitantes. Londres continue d'être la mecque : tous les mouvements musicaux intéressants et significatifs apparus depuis 15 ans y ont pris naissance (Jungle, 2Step, UK Garage, Broken Beat, Grime, Dubstep, Banghra....).
Les US recyclent a l'infini le fond de commerce Hip-Hop, R'B et House, pour le pire a la TV, et pour le meilleur – parfois - dans l'underground...
Mais grâce aux liens tissés par internet et à la démocratisation du matériel de production, des surprises arrivent de tous les points de la planète...
Les possibilités de connaissance, d'échange et de production offertes par la technologie ont révolutionné la manière de faire de la musique et de la faire connaître, et ont rendu cela accessible a bien plus de monde...BIG UP !
Paradoxalement cette avancée technologique a été accompagnée d'une baisse de qualité du son. Du vinyle au CD, puis surtout du CD au MP3, personne aujourd’hui ne peut nier que le progrès technique est accompagné d’une régression de la qualité ou de la chaleur du son.
Le MP3, pour des raisons d'archivage et de facilité de transfert, est devenu le format naturel et incontournable pour une majorité d'auditeurs, mais aussi de diffuseurs (DJ, bars & clubs,....)
Cette régression présente les inconvénients suivants :
- un son de piètre qualité comparé au son CD et surtout vinyle, qui ne reproduit pas la création telle qu'elle a été conçue par l'artiste. En d'autres termes une perte d'émotion importante.
- un gommage des contrastes sonores qui rend les oreilles paresseuses ; une étude scientifique a démontré que les capacités auditives des utilisateurs de baladeurs – ou auditeurs réguliers de MP3 - diminuaient de manière significative, car ils ne perçoivent plus les dynamiques sonores présentes sur un format plus riche que le MP3.
- une musique souvent inécoutable en club, comme ces morceaux de Hip-Hop mixés avec le programme Serato, qui fatiguent considérablement les oreilles.
- des sound-systems de clubs qui souffrent beaucoup de la diffusion de ce format a haut volume.
- l'absence de support physique permettant d'accompagner la musique d'une information et d'un univers visuel.
Donc sur le plan auditif et qualitatif, la perte est à ce jour considérable. Elle explique la remarquable résistance du vinyle jusqu'à aujourd'hui, avant tout grâce aux Djs, producteurs/artistes underground et collectionneurs. Mais la lutte devient de plus en plus dure, en dépit du retour de mode actuel. Cela devient un parcours du combattant pour un DJ de transporter ses vinyles lors de déplacements en avion, compte tenu des conditions de sécurité de plus en plus draconiennes qui ne font pas bon ménage avec la masse physique du support. Même de grands prêtres du vinyle comme Louie Vega y ont renoncé.
Autre phénomène : en Espagne de plus en plus de bars musicaux suppriment les platines vinyle, car les inspecteurs de la SGAE (la SACEM espagnole), considèrent stupidement que c'est la présence de ce matériel qui qualifie l'endroit de club ou bar dansant (avec des perceptions plus importantes à la clé). Il leur a échappé que l'ont peut mettre un John Coltrane sur une platine vinyle, et faire une « Pumpin’ House Party » avec deux lecteurs de CD...
Mais bien entendu, la raison principale de l'abandon du vinyle, comme du CD, par les jeunes générations, est la gratuité ou quasi-gratuité des MP3 disponibles en ligne, soit sur les sites de peer-to-peer, soit dans les offres de plus en plus désespérées des majors pour rentabiliser leur catalogue.
Car disons-le, les majors méritent la palme de la plus mauvaise gestion stratégique (a égalité aujourd'hui avec les Big Three de l'automobile américaine).
Début 2000, alors que des projets créatifs de distribution sur le net et respectueux du droit des artistes se présentaient, elles n'ont rien voulu lâcher, tout en étant incapable de proposer une alternative. Ce faisant, elles se sont tiré une balle dans le pied, et ont agit au détriment des intérêts de leurs artistes. Les solutions pirates ont rempli rapidement le vide existant, conduisant en quelques années a une situation de fait dans laquelle la musique avait presque perdu toute valeur de marché, hormis pour une minorité.
Incapables de proposer une offre globale et cohérente, elles ont laissé le champ libre à Apple avec sa formule gagnante iPod/iTunes, qui leur a permis de limiter les dégâts en arrivant a fédérer et structurer une offre payante suffisamment riche et attractive.
Mais l’appétit vient en mangeant, comme l’on sait, et peu reconnaissantes envers un service qui a permis de préserver une valeur à la musique sur internet face à la pléthore d’offres pirates et gratuites, les majors se sont efforcées d’affaiblir iTunes en accordant a des services concurrents , comme Amazon, des avantages refusés a Apple (l’absence de DRM). Elles ont fini par lâcher les mêmes droits a Apple sous la menace de poursuite judiciaires.
Bien sûr il n’est pas sain que le marché de la musique en ligne soit dominé par un seul acteur, et iTunes présente, comme bien d’autres plate-formes, deux inconvénients majeurs : les formats de compression proposés ne sont pas les meilleurs (AAC –128 Kb/s au lieu de MP3-320 Kb/s) et surtout il n’est pas possible d’écouter les morceaux avant de les acheter.
Mais c’est parce que tous les acteurs de poids ayant des intérêts dans le partage du gâteau qui prévalait avant l’arrivée du numérique ont été incapables de proposer à temps des offres commerciales et des cadres législatifs adaptés aux différents segments de consommateurs, que tout le monde a perdu dans la transition, les artistes en premier. Le tout au bénéfice d’une société de vente de matériel informatique !! C’est précisément en contrariant toutes les initiatives émanant d’acteurs innovants (mais indépendants), issus du milieu de la musique et respectueux des droits des artistes que les majors et sociétés d’auteurs ont ouvert une autoroute à Napster et consors, puis a Apple.
Après les sites de téléchargement pirate et la politique catastrophique des maisons de disque, il existe une troisième force qui contribue a réduire a 0 la valeur de marché d’une création musicale : ce sont tous les « web penseurs » dont le mantra est que la musique payante, c’est dépassé, et que les artistes doivent vivre à présent de leurs prestations live, produits dérivés et revenus publicitaires associés.
Parmi ceux-là, citons l’auteur de la par ailleurs très intéressante newletter Techcrunch :
A propos de Jiwa le 21/02/08 : « Nous ne savons pas encore quelle tournure exacte prendra cette révolution. Nous ne faisons qu’entre-apercevoir les modèles qui assureront liberté, gratuité et légalité, mais le simple fait de participer à cette marche est enivrant. Et il faut aussi ajouter qu’en France les initiatives sont nombreuses et de qualité. Musana, Awdio, Rkst.org ou Deezer entre (nombreux) autres. »
A propos de Yahoo le 23 janvier 2008 « Proposer de la musique sans DRM n’est pas une révolution puisque Amazon le fait déjà, mais proposer cette musique gratuitement est un grand pas vers la gratuité de la musique. Il sera intéressant de suivre le modèle économique de près si Yahoo fait vraiment ce pas et de voir aussi les réactions qui vont suivre. »
A propos de DongKick le 20 mars 2008 : « Avec les ventes de CD en chute libre et la musique enregistrée qui petit a petit devient gratuite, la musique Live qui servait auparavant, entre autres, d’outil marketing à la promotion d’un nouveau disque est peut être en train de devenir la source de revenus principale pour beaucoup d’artistes. »
J’aimerais bien voir « Mr Techcrunch » essayer de convaincre Scarlett Johansson que ses cachets de tournage, c’est fini, parce que payer pour regarder un film, c’est dépassé ! Par contre, si elle est moderne, elle peut se rattraper en faisant des tournées promotionnelles du film, avec séances d’autographes payantes. Elle va sans auncun doute être séduite par le côté visionnaire de la trouvaille !
Et puis avec cette solution, pas le droit d’être un auteur/compositeur handicapé, par exemple.
Soyons sérieux : il n’y a pas de raisons pour qu’une création musicale n’ait pas une valeur de marché décente, surtout compte tenu de la somme de savoirs, de compétences, de talents et de temps qui ont participé a son élaboration (en tout cas à partir d’un certain niveau de qualité artistique).
Le défi est donc le suivant : comment, dans un univers technologique en mutation rapide, favoriser des offres de distribution attractives et qualitatives de la musique, et les situer dans un espace le plus médian possible entre les deux pôles contraires que sont :
- les échanges pirates qui n’accordent aucune valeur à la musique et ne constituent pas une économie.
- les tendances protectionnistes et sclérosantes des majors et organismes de recouvrement qui jusqu’à présent ont empêché ou contrarié le développement de la plupart des offres indépendantes attractives et qualitatives, renforçant ainsi l’attractivité des offres hors-la-loi (en refusant l’accès à leurs catalogues ou en mettant des obstacles juridiques au développement de projets qu’ils ne contrôlaient pas)
Le cas des obstacles à l’écoute en streaming sur le net est révélateur. De très nombreux projets qualitatifs ont avorté ou mis la clef sous la porte parce que la Sacem ou la plupart de ses consoeurs européennes n’autorisaient pas une écoute de plus de 30 secondes en streaming des morceaux à découvrir. Ainsi, les radios hertziennes et les points d’écoute en magasins ont toujours été considérés comme des médias indispensables à la promotion des artistes, mais faire écouter un morceau en intégralité sur le net (même en streaming de qualité moyenne) pour pouvoir faire découvrir l’univers d’un artiste et donner envie d’acheter ses créations était considéré comme hors-la-loi.
Bien des projets souhaitant promotionner aussi bien les catalogues indépendants que ceux des majors n’ont pu voir le jour ou survivre dans ces conditions. Ce faisant les majors ont encore une fois agit au détriment des intérêts de leurs artistes et de toux ceux du secteur indépendant dans lequel elles font traditionnellement leurs courses.
Car c’est bien dans ce même secteur indépendant (ce que les majors appellent « les niches ») que sont apparus TOUS les nouveaux genres musicaux créatifs depuis 15 ans ou plus, comme nous l’avons vu plus haut. C’est aussi en proposant un espace à tous ceux qui ne trouvaient pas leur place dans le parcours balisé des maisons de disque que MySpace est devenu ce qu’il est.
Toutes les innovations intéressantes et artistiquement qualitatives sur le net sont apparues en dépit du contexte crée par les majors, et ont dû lutter chèrement pour survivre dans ce contexte (Last FM, Pandora, Deezer,…)
Beaucoup plus nombreux sont les exemples de projets intéressants qui n’ont pas survécu.
C’est aussi l’univers des indépendants qui a permis la survie du vinyle et donc de la meilleure restitution sonore.
Si ce support vit actuellement une véritable renaissance, signalons qu’il n’a jamais perdu de terrain dans certains univers musicaux underground où les DJs et les alchimistes du son constituaient une population critique : reggae, hip-hop, jungle, broken beat, house undergound… Là aussi dans les univers les plus créatifs et les plus éloignés de « l’industrie » des majors. C’est grâce à ce seuil de résistance que le vinyle n’a pas complètement disparu du marché des nouveautés. Aujourd’hui la courbe du vinyle remonte grâce à un nouveau public qui retrouve dans le support deux choses essentielles qu’il avait perdues de vue : une chaleur/qualité sonore et un support/objet d’art dont on se rend compte a quel point il manque quand il n’accompagne pas l’œuvre écoutée. Et ce retour vers le vinyle est aussi le retour vers un produit qui a une valeur et une sensualité.
Pour conclure ce long récapitulatif, forcément incomplet et imparfait, mon souhait est donc que les évolutions ultérieures et positives de la planète « disque » puissent se faire avec la coopération des majors et de leurs représentants et non en dépit d’eux.
En tant que compositeur/producteur je souhaite que mes œuvres soient présentés dans des univers (sites internet) spécialisés, cohérents et renseignés par rapport au domaine musical dans lequel je m’exprime, qu’il soit Jazz, House, Broken Beat ou autre, car cela est une assurance d’y trouver un public sensible à mes productions.
Je considère comme parfaitement normal que quiconque puisse écouter l’INTEGRALITE de chacun de mes morceaux ou albums avant de choisir de les acheter. Combien de fois ai-je regretté l’achat d’un disque encensé par tel ou tel journaliste, et non disponible en point d’écoute !
En tant que grand consommateur de musique, qui n’a jamais mis les pieds sur un site de peer-to-peer, je souhaite pouvoir avoir accès a une multitude de sites, webradios, podcasts, distributeurs rivalisant de creativité pour me faire écouter, découvrir et acheter les œuvres de nouveaux artistes et toutes les merveilles existant dans les back-catalogues remarquablement inexploités des majors.
Je ne comprends pas pourquoi une radio en ligne comme Pandora n’est plus accessible en Europe, je trouve insupportable de ne pouvoir écouter que 30 secondes d’un morceau dont j’envisage l’achat, ou d’être hors-la-loi parce que je met en ligne un mix visant a faire connaître des artistes que j’apprécie et dont j’ai acheté tous les disques. Et je trouve inadmissible que lorsque je mixe dans un club payant une redevance à la Sacem, ce soit Johnny Halliday et JJ Goldman qui encaissent alors que je n’ai mis que des morceaux de 4Hero, Afronaut, IG Culture et Seiji….
Et en tant que compositeur/producteur ET consommateur j'espère que les fichiers non compressés vont rapidement prendre la place des MP3 et autres AAC, pour redonner ses droits au son, et que le règne de la quantité fera place à celui de la qualité.
Et vive le vinyle !
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